Le hooliganisme serbe en questions

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La folie des ultras serbes a embrasé les tribunes de Gênes mardi.

Mardi soir, à Gênes, le spectre du hooliganisme a refait surface dans une enceinte de football. Devant l’ampleur des débordements émaillant les tribunes du Stade Luigi-Ferraris, à l’occasion de la rencontre Italie-Serbie comptant pour les éliminatoires de l’Euro 2012, l’arbitre s’est vu contraint de mettre un terme à la partie après six petites minutes de jeu. Les affrontements entre les ultras serbes et les autorités locales se sont ensuite poursuivis jusque tard dans la nuit. Ce spectacle consternant, ayant choqué le microcosme du ballon rond, pose inévitablement des questions.

Jets de fumigènes, drapeaux brûlés, joueurs en pleurs, altercations avec les forces de l’ordre… Mardi soir à Gênes, 1 750 supporters serbes ont transformé une rencontre de football en cauchemar, faisant ressurgir les vieux démons du hooliganisme anglais qui avait profondément meurtri le monde du ballon rond dans les années 80. Ces scènes de violence ayant fait 16 blessés, dont deux graves, qui n’ont strictement rien à voir avec le sport, suscitent réprobation, mais aussi interrogations. Car ce phénomène est loin d’être nouveau en Europe de l’Est.

La consternation aux premières loges

Au lendemain des incidents de Gênes, consternation et indignation étaient les sentiments qui dominaient dans les deux camps. Les paroles du sélectionneur italien, Cesare Prandelli, présent sur la pelouse lors du drame du Heysel en 1985, cristallisaient bien l’avis général: « Je n’ai jamais vu quelque chose de ce genre. Mais je ne comprends pas comment on n’arrive pas à empêcher de tels débordements. (…) Je suis très déçu et j’ai beaucoup de regrets. C’est un spectacle inadmissible pour tous les enfants qui étaient au stade« .

La presse transalpine, de son côté, n’a pas tardé à monter au créneau. La Gazzetta dello Sport titrait « Les Bêtes« , assorti d’une photo d’Yvan Bogdanov, le leader ultra cagoulé et tatoué, arrêté tard dans la nuit. Le Corrierre della Serra estimait pour sa part que « la soirée d’hier (mardi) ne pouvait rester sans réponse« , alors que le Messaggero se fendait d’un constat simple et frappant: « Nous avons tous perdu« . Côté serbe, l’heure était également à la révolte. Le ministre des affaires étrangères, Vuk Jeremic, a immédiatement transmis ses excuses à son homologue italien, alors que les médias, l’influent quotidien Politika en tête, faisaient part d’un sentiment de « honte » et de « déshonneur » général.

Savo Milosevic va lui encore plus loin. L’ancien international, s’il se dit bien sûr affligé par les événements, n’hésite pas à évoquer une bombe à retardement qui menaçait d’exploser à tout moment: « C’est l’une des journées les plus sombres de l’histoire du football serbe et les répercussions seront probablement si dures qu’on peut considérer que c’en est fini de notre campagne de qualifications pour l’Euro 2012« , a-t-il confessé à la chaîne de télévision de Belgrade B92. Le gouvernement s’est totalement désintéressé du sport et de ses problèmes ces vingt dernières années si bien que maintenant, la Serbie paie le prix fort pour n’avoir pas su enrayer le hooliganisme de façon rapide et définitive« .

Un phénomène de société

Le phénomène du hooliganisme en Europe de l’Est, et plus particulièrement en Serbie, est loin d’être nouveau. Il avait déjà malheureusement fait la Une des journaux dans nos contrées en septembre 2009, après le décès du supporter toulousain Brice Taton, tabassé à mort en marge d’une rencontre de Ligue Europa à Belgrade. Et selon Savo Milosevic, ce problème serait une conséquence directe de l’enlisement continu dans lequel est plongée la société serbe depuis de trop nombreuses années: « Le problème va, bien sûr, au-delà du football et le fait que ces jeunes gens provoquent le chaos où qu’ils aillent est la conséquence et non la cause du problème« , analyse avec lucidité le meilleur buteur de l’Euro 2000.

Les problèmes sociaux peuvent, en effet, expliquer en partie les dérives dont est coupable la jeunesse serbe. Éclatement de l’ex Yougoslavie, atermoiements politiques, crise économique, chômage… Une rengaine classique qui prive toutefois les jeunes de repères. Ces derniers se trouvent dès lors facilement attirés dans le giron de groupuscules affiliés à des associations sportives, les clubs de football au premier rang, dont les origines et les orientations sont bien souvent obscurs.

La plupart de ces groupes trouvent racine dans la période de guerre en ex Yougoslavie. Il en va ainsi des Irriducibili Belgrade, supporters du Partizan ayant fomenté le tabassage de Brice Taton, qui se révèlent être une branche néo-nazie des Grobari (croque-morts), réputés pour leur participation au conflit des Balkans. C’est également le cas des ultras de l’Etoile Rouge, l’autre grand club de la capitale, connus sous le nom de Delije et dirigés en leur temps par un certain Arkan, qui n’hésitait pas à recruter parmi ses compagnons pour engraisser les rangs de sa milice paramilitaire meurtrière, les Tigres. Tous ces groupuscules prônent les mêmes idéaux radicaux qu’à l’époque de la guerre, ultra-nationalisme – en témoignent les drapeaux albanais brûlés dans les tribunes de Gênes-, xénophobie, homophobie, violence. Ils ont simplement transposé leur terrain de jeu et visent désormais à imposer la terreur dans les stades.

Vers des sanctions exemplaires?

Mercredi, l’UEFA a ouvert une enquête disciplinaire sur les événements de Gênes et devrait rendre son verdict d’ici à la fin du mois d’octobre – la date du 28 ayant été retenue pour examiner le cas. La Serbie, déjà mise en garde dans un passé proche, s’expose à des sanctions exemplaires, et pourrait même être purement et simplement exclue de la compétition. Le président de l’instance dirigeante du football européen, Michel Platini, a livré un avis bien tranché sur la question: « J’ai vu les images du match Italie-Serbie d’hier et j’ai été choqué. J’ai trop de mauvais souvenirs liés à la violence dans le football, a ainsi indiqué l’ancien joueur de la Juventus de Turin, lui aussi présent au Heysel. « J’attends les résultats de l’enquête et les décisions des instances disciplinaires, et je rappelle que l’UEFA prône une tolérance zéro pour la violence dans les stades« .

Pour Savo Milosevic, cette violence serbe qui ne se cantonne désormais plus aux brûlants derbies de Belgrade et s’exporte hors des frontières du pays, doit être éradiquée au plus vite. L’ancien joueur d’Aston Villa prône une action radicale, inspirée du modèle anglais, en appelant les autorités à prendre leurs responsabilités: « L’Angleterre a traité le problème efficacement et de manière impitoyable, allant jusqu’à infliger des peines de prison. Nous n’avons qu’à suivre cet exemple, conseille-t-il. Je sais que nous ne sommes pas le pays le plus organisé du monde mais le gouvernement doit faire plus que ce qu’il a fait ces vingt dernières années ou alors les choses vont empirer« . Le monde du ballon rond, lui, ne peut plus se permettre de laisser planer une telle menace au-dessus de lui. Il en a déjà souffert et certaines plaies ne sont pas encore totalement refermées. Les prochaines prises de décision des instances de régence, et notamment les sanctions infligées à la Serbie, devraient donner une meilleure visibilité sur l’inclinaison prise par le football européen sur cette problématique incandescente qu’est le hooliganisme.

Article paru sur le site internet Football.fr

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