Sergio « El Kun » Aguero : le petit prince

kunS’il vous plait, dessine-moi un ballon… Ce pourrait être la phrase d’accroche du nouveau conte moderne, estampillé vingt-et-unième siècle, griffonné de la plume d’un écrivain-poète, lointain descendant d’un Saint Exupéry puisant son inspiration dans la fantasmagorique Amérique du Sud. Fable contemporaine qui aurait pour héros un petit prince new age, élevé dans le pays où le football a été érigé au rang d’authentique religion, la céleste Argentine. Histoire d’un gamin de tout juste vingt ans, gueule d’ange, talent démesuré, déjà en train de poser les jalons d’une épopée homérique, qui devrait le conduire au panthéon des légendes du ballon rond. Son nom : Sergio Leonel Agüero, alias « El Kun ». Portrait d’un crack qui risque, à coup sur, de marquer de son empreinte la prochaine décennie du football mondial.

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Son enfance

sans-titre.Le petit Sergio voit le jour le 2 juin 1988. Il grandit dans le quartier de Quilmes, banlieue pauvre de l’insondable mégalopole Buenos Aires, au sein d’une famille qui résiste tant bien que mal aux affres de la misère qui frappe à sa porte, lot quotidien de nombre d’Argentins à cette époque. Sergio n’a qu’un goût très modéré pour les bancs de l’école locale, et trouve dans le football, à l’image de la plupart de ses camarades, un exutoire à l’adversité du temps présent. Chaque jour, plutôt que de potasser ses devoirs de grammaire ou de calcul, il préfère improviser des rencontres en compagnie des jeunes du quartier. La passion du ballon rond commence à brûler en lui. Sans retenue : « Dès que les cours se terminaient à Quilmes, Buenos Aires, mes amis et moi voulions entamer un match. A Villa Itali, le voisinage où j’ai été élevé, il y avait un terrain que nous partagions avec les autres gamins du coin et sur lequel nous organisions des matchs. Nous pouvions jouer à n’importe quelle moment de la journée, que le soleil soit à son zénith ou que la nuit soit tombée. Je pouvais passer des heures et des heures là, rentrant parfois très tard à la maison. Le temps n’était jamais un facteur ». Ses prédispositions naturelles pour le jeu ne tardent pas à taper dans l’œil d’un entrepreneur local, entraîneur d’un club de quartier à ses heures perdues, qui décide d’enrôler le diamant brut. Sergio a alors huit ans : sa carrière est lancée, et va connaître une ascension vertigineuse.

C’est également à cette époque qu’il se voit affubler du surnom atypique qu’il étrenne encore aujourd’hui. Ses grands-parents lui trouvent une édifiante ressemblance avec l’un de ses héros, le personnage de manga japonais dénommé “Kum Kum”. Une déformation de l’original plus tard, dans la bouche de ses frères, qui prononcent “Kun Kun”, et le mythe était fondé. Ainsi naquit “El Kun”.

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Ses débuts dans le football argentin

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Ses premiers pas dans le championnat régional lui permettent d’étaler au grand jour son immense talent. Les écuries les plus prestigieuses du pays n’y restent pas insensibles, et c’est ainsi que Sergio poursuit sa progression en signant pour la formation des Diablos rojos de Avallaneda, le mythique Independiente, septuple vainqueur de la Copa Libertadores. Au cours de la saison 2002-2003, le prodige est lancé dans le grand bain par son entraîneur, l’ex défenseur des Albiceleste Oscar Ruggeri. Le 5 juillet 2003, il entre en jeu lors d’un match face à San Lorenzo. Ces vingt-quatre minutes, les seules de sa saison, vont pourtant le faire entrer dans l’histoire : il est alors âgé de quinze ans et trente-cinq jours, ce qui en fait le plus jeune joueur à prendre part à une rencontre professionnelle en Argentine, délestant de ce record un certain… Diego Armando Maradona, rien que ça. Au cours de l’exercice suivant, il participe à cinq rencontres sous la tunique rouge, avant d’inscrire ses premiers buts lors de la saison 2004/05 (5 en 12 matchs). Il fait au même moment ses premières armes sous le maillot de la sélection, et inaugure son palmarès en remportant la coupe du monde des moins de vingt ans, aux côtés des Garay, Gago et Messi. Sa dernière année sous les couleurs d’Independiente est celle de la consécration. A tout juste dix-sept ans, Sergio semble être arrivé à maturité. Il devient la coqueluche du stade libertadores de America, enflamme le public à chacune de ses sorties, et fait trembler les filets à dix-huit reprises. Il est même pressenti pour intégrer la liste des 23 que Pekerman enverra en Allemagne disputer la coupe du monde, avant de se voir au dernier moment préféré Palacio, l’attaquant de Boca. La ferveur populaire s’empare du phénomène mais l’Argentine, sa terre natale, se fait désormais trop petite pour le génie du Kun. Les sirènes des plus prestigieuses formations européennes commencent à siffler aux oreilles du champion en herbe. Temps est désormais venu pour Sergio de traverser l’océan, et de rejoindre le vieux continent, où des défis encore plus fabuleux l’attendent de pied ferme…
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Le prodige prend son envol

.auero8Pisté par l’Inter, le Barça, le Bayern ou encore Liverpool, c’est finalement l’Atletico de Madrid qui parvient à engager le jeune surdoué, déboursant pour ce faire la modique somme de vingt-deux millions d’euros (soit le plus gros transfert de l’histoire du club). Loin des siens, propulsé dans l’une des compétitions les plus relevées au monde, Sergio s’adapte tranquillement à sa nouvelle contrée, et au jeu pratiqué dans la péninsule ibérique, sans brûler les étapes : « Cela a été un peu difficile de m’adapter au départ, mais petit à petit, je me suis ajusté au football pratiqué ici en Espagne, à la ville, aux joueurs et au club. Il m’a été également difficile d’être éloigné de ma famille au début, mais rejoindre l’Espagne et une équipe de renommée mondiale m’a aidé à murir. J’ai du grandir plus vite que beaucoup de garçons de mon âge. Mais globalement, ce ne fut pas une transition trop éprouvante pour moi. On s’habitue rapidement au rythme du football espagnol. En jouant match après match et en s’entraînant dur tous les jours, tout vient plutôt naturellement ». Confiné dans l’ombre de l’idole Fernando “Il Nino” Torres, il participe néanmoins aux trente-huit rencontres de Liga, trouvant le chemin des filets à six reprises. Une plaisante mise en bouche, à l’aube du mondial des moins de vingt ans qui se déroule au Canada… Le public et son coach, Hugo Tocalli, attendent monts et merveilles de Sergio, qui en l’espace de deux années, est devenu le patron de cette sélection. Et il ne va pas décevoir. Les Argentins remportent le tournoi, et le Kun survole littéralement la compétition. Sa technique, son sens du jeu, son adresse dans la zone de vérité (6 buts, dont une action d’anthologie face à la Pologne en huitième de finale, contrôle dans la surface, coup du sombrero enchaîné d’une reprise de volée croisée du gauche), sa vista (4 passes), ses accélérations, ses dribbles chaloupés, illuminent la quinzaine, et lui valent d’être élu à l’unanimité meilleur joueur du mondial.
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L’explosion à Madrid

kun-aguero-vs-barca_95912Fort de ce nouveau succès, et de sa première année d’expérience qui lui a permis de s’aguerrir aux rudes joutes de la Liga, Sergio attend avec impatience le coup d’envoi de la saison, au cours de laquelle il entrevoit de briller de mille feux sous le maillot colchonero. Au même moment, une page d’histoire se tourne du côté de l’Atletico : l’enfant prodigue, Fernando Torres, est cédé à Liverpool, en contrepartie d’un gracieux chèque de trente-six millions d’euros. Cet argent est immédiatement réinvesti par la direction madrilène, qui porte son dévolu sur Diego Forlan, Simao Sabrosa, Luis Garcia, ou encore José Antonio Reyes. Libérés d’une “Torres-dépendance” qui a trop longtemps inhibé leur jeu, les rouges et blancs ouvrent ainsi une nouvelle ère, dont Sergio est ammené à devenir l’une des pierres angulaires. Les espoirs placés dans ce petit bonhomme de dix-neuf ans sont considérables. L’objectif est clair : ramener l’Atletico vers les sommets, et décrocher cette qualification pour la Champions League, attendue depuis si longtemps par les socios…

Un début de championnat en fanfare confirme que notre trublion a définitivement passé un cap. En inscrivant cinq buts lors des six premières rencontres, Sergio prouve qu’il est désormais prêt à déplacer des montagnes. La suite de sa saison est un rêve éveillé. Malgré une élimination prématurée en coupe de l’UEFA, dans laquelle il aura sa part de responsabilité (il est expulsé au match aller, dix minutes seulement après son entrée en jeu, pour avoir craché en direction de l’arbitre assistant), chacune de ses sorties est une attraction, et le Vicente Calderon vibre au rythme des exploits de sa nouvelle idole. Les colchoneros proposent un jeu ultra-offensif, épuré voire déluré, oubliant les préceptes tactiques traditionnels pour enflammer les rencontres dès que l’occasion se présente. La barre des quatre buts est régulièrement franchie. Et Sergio est étincelant. Comme ce 1er mars, à marquer d’une pierre blanche. Dernières heures de l’hiver, les beaux jours affleurent à l’horizon, et semblent donner des idées à Sergio aux pieds d’or. Le grand Barça se présente ce soir au Calderon, et semble maîtriser son sujet après l’ouverture du score sur un sublime retourné de Ronaldinho. C’est le moment que choisi Sergio pour déchainer les enfers. Une frappe lointaine synonyme d’égalisation, une passe décisive de l’extérieur dans le dos de la défense pour son compatriote Maxi, suivies en seconde période d’un pénalty provoqué et d’un doublé inscrit après avoir enrhumé toute l’arrière-garde blaugrana, pour parachever son œuvre. Tel un matador, Sergio vient de crucifier les champions d’Europe, et de mettre l’Espagne à ses pieds.

Sa fin de saison est à l’image de celle de sa formation : tonitruante. L’Atletico résiste au  retour combiné du FC Séville et du Racing Santander, s’adjugeant une quatrième place amplement méritée, synonyme de qualification pour le tour préliminaire de la Ligue des champions. « El Kun » finit l’exercice avec un bilan comptable faramineux : dix-neuf buts et sept passes en championnat, agrémentés de six réalisations en coupe de l’UEFA. Au passage, il est élu meilleur espoir 2007 par la FIFA, et intègre les rangs de la sélection Argentine, au sein de laquelle il enchaîne les prestations de grande classe, pour en devenir petit à petit un titulaire indiscutable, malgré la concurrence féroce. L’année prochaine, Sergio devrait toujours porter le maillot de l’Atletico, malgré l’intérêt grandissant de certaines formations, comme l’Inter ou Chelsea, le club d’Abramovitch ayant même annoncé être prêt à payer sa clause libératoire, estimée à cinquante-cinq millions d’euros… Entre temps, Sergio défendra les couleurs de son pays aux Jeux olympiques de Pékin, dans un tournoi où les albicelestes s’annoncent une nouvelle fois redoutables.
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Un nouvel élu ?.

aguero-maradonaDans un pays où le football est religion d’état et Maradona le Christ incarné, on cherche à ce dernier un successeur depuis l’arrêt de sa carrière il y a maintenant une dizaine d’années. Les médias et l’exaltation populaire ont cru trouvé l’héritier tour à tour en Ariel Ortega, Pablo Aimar, Juan Roman Riquelme, Anders D’Alessandro. Tous se sont brûlés les ailes… Plus récemment, le phénomène Lionel Messi semble être celui qui, par son talent incommensurable, se rapproche le plus du maître. Mais Sergio semble lui aussi suivre cette voie. Ses points communs avec el pibe de oro  sont équivoques. Comme Diego, il a effectué ses débuts professionnels à l’âge de quinze ans. Comme Diego, il a émigré pour essaimer son précieux don au pays des conquistadors. Comme Diego il a revisité le but de la main, un soir de 2006 contre Huelva. Comme Diego, sa petite taille (1m72), son gabarit râblé (74 kgs), sa technique hors norme balle au pied, ses accélérations fulgurantes, désarçonnent et désarticulent les défenses. Comme Diego, il est la cible privilégiée de bouchers qui ne supportent pas de voir un gamin leur faire tourner la tête (cette saison, il a été le joueur sur qui le plus de fautes ont été commises en Liga). Même si sa place sur le terrain et son influence dans le jeu en font plus le pendant d’un Romario, les ressemblances avec l’idole sont intrigantes. Sa relation avec la fille de Diego, et ses multiples apparitions publiques à la droite du père finissent d’entériner le mythe d’une filiation spirituelle entre les deux hommes…

Mais pour s’épanouir vraiment, Sergio devra avant tout être lui-même. Sa fraîcheur, son caractère trempé (inhérent aux Argentins, et qui lui a déjà valu quelques désagréments lors du dernier exercice), sa fantaisie (il porte sur son dos son surnom associé à son nom), son talent hors du commun, sont autant de qualités qu’il devra s’attacher à préserver des influences néfastes émanant de l’extérieur. Pour que ce conte merveilleux, dont le premier chapitre vient tout juste d’éclore, ne connaisse pas une fin tragique comme celle de Diego, on ne pourrait murmurer qu’un conseil à l’oreille de notre petit prince : ne grandit pas trop vite, Sergito

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Article écrit le 08-07-2008

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Vidéos

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El kun à Independiente

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Best of Aguero

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Sergio Aguero vs Lionel Messi



Ses deux buts face à la Pologne lors du mondial U20 de 2007

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La folle nuit du 1er mars 2008 face au Barça

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