Miracle on ice (Partie 3)

L’impact historique du Miracle on ice

Mike Eruzione après avoir inscrit le but décisif

Mike Eruzione après avoir inscrit le but décisif

Ils l’ont fait. Réaliser l’impensable. Renverser la montagne. Plonger le pays dans une douce folie. L’exploit transcendant réalisé par la bande d’Herb Brooks soulève au travers des Etats-Unis une vague d’enthousiasme et de frénésie incomparable. Kevin Allen, auteur de l’ouvrage USA Hockey : a celebration of a great tradition, note : « Grâce à l’avènement de la télévision, le but d’Eruzione en 1980 déclencha une célébration nationale spontanée d’une intensité stupéfiante. Les gens pleuraient, les inconnus s’enlaçaient, et des groupes au travers du pays se rassemblèrent dans de vibrantes interprétations de God bless America et du Star-spangled banner. »

Pour comprendre cette explosion de joie inouïe, difficile à évaluer chez nous, il faut se référer au contexte : la guerre froide, les tensions croissantes avec l’Union Soviétique, les désillusions successives de l’Oncle Sam sur la scène internationale, la morosité ambiante entre ses frontières. C’est une véritable crise de confiance qui affleure au-dessus de l’Amérique à cette époque, une remise en cause de ses croyances, de ses convictions les plus profondes, de cette foi immuable en elle-même, qui lui permet de surmonter tous les obstacles. L’Amérique doute. La nation est touchée dans son âme, et le patriotisme de l’Américain moyen mis à mal, chose qu’il a du mal à concevoir, et à affronter. C’est pourquoi la victoire de son équipe, composée uniquement d’amateurs, face à une formation soviétique qui cristallise tous les clichés malsains relatifs au sport communiste, dans une rencontre qui a toutes les allures d’une transposition sur la glace des enjeux de la guerre froide, prend pour lui la forme d’une douceur exquise. L’espace d’un instant, le temps se fige lors d’un match de hockey sur glace. Les Etats-Unis se réaccaparent le devant de la scène et la place qui, dans l’ordre naturel des choses, leur est dévolue : la première. Le gain de la médaille d’or est un symbole puissant, qui permet au pays d’y croire à nouveau, et qui explique a posteriori l’impact du miracle sur la société américaine.

Cette impression de renouveau insufflé par l’équipe nationale de hockey peut être corroborée par les propos de témoins de l’époque. Ainsi, E.M Smith, journaliste pour Sports Illustrated, écrit : « A un moment où les tensions internationales et les frustrations domestiques avaient altéré le traditionnel optimisme américain, les outsiders de l’équipe olympique américaine donnèrent le vertige à la nation entière. […] Ces jeunes l’ont fait en s’appuyant sur l’ancienne éthique du travail américaine, que beaucoup croyaient disparue de la surface de la Terre. » Barry Rossen, un des otages de l’ambassade américaine à Téhéran, rapporte lui ses souvenirs au New York Times : « Le match a été le moment où les Américains ont commencé à nouveau à ressentir de la fierté. Les gens cherchaient quelque chose auquel s’accrocher. Les choses allaient si mal depuis si longtemps. »

Les joueurs eux-aussi se remémorent l’effet qu’a occasionné leur triomphe sur leurs compatriotes. Steve Janaszak, gardien suppléant, confie ainsi : « D’un coup, vous avez cette petite lueur d’espoir qui a été présentée à tort comme un groupe d’universitaires qui ont sauté ensemble dans une voiture pour finir à Lake Placid. Ce qui n’était pas le cas, mais beaucoup d’Américains l’ont ressenti ainsi, jouer contre les grands, méchants professionnels soviétiques. Et nous les avons battus. » Un moment rare, mémorable, impérissable, qui a profondément marqué la conscience collective américaine. Mike Eruzione, capitaine devenu héros intemporel un soir de février 1980, est sans aucun doute le mieux placé pour en parler.

A l’époque, Mike, du haut de ses vingt-cinq ans, est le doyen du groupe. Joueur moyen évoluant dans les rangs de l’université de Boston, les recruteurs ne s’intéressent pas à lui, le jugeant trop frêle, trop lent pour intégrer le gratin de la prestigieuse Ligue Nationale. Il est vrai qu’il ne possède pas les prédispositions naturelles pour le jeu et le talent de ses compères Mark Johnson, Dave Christian ou Neal Broten pour ne citer qu’eux. D’ailleurs, il ne portera jamais les couleurs d’une franchise de la NHL et arrêtera sa carrière après les Jeux. Mais ce lancer salvateur qui conduit l’Amérique au paradis à Lake Placid va le faire entrer dans la légende et changer son existence, à jamais. Interviewé par Sports Illustrated en 2000, il atteste : « Je dois gérer beaucoup plus, je pense, que la plupart de mes coéquipiers. Après les Jeux olympiques, ils ont eu des carrières NHL et ont été impliqués dans le milieu. Depuis vingt ans, je fais des choses à cause de ce qui m’est arrivé en 1980. » Pas un jour ne se passe sans qu’il n’y ait quelqu’un pour lui rappeler ce but qui l’a fait passer à la postérité : « La première fois que vous rencontrez les gens, ils ressentent le besoin de vous dire où ils étaient. Ils disent « laissez-moi vous raconter une histoire marrante. Vous ne devinerez jamais où je me trouvais quand vous les gars… ». Et je les ai tous écoutés, et ils étaient tous géniaux. » Mike est devenu l’incarnation même du miracle, un messie tombé du ciel pour redorer le blason de son pays. Et, malgré les années qui passent, celui-ci ne l’oublie pas, et l’a érigé en sorte de dieu vivant, condition dont il ne pourra jamais se défaire, et qu’il a parfois du mal à envisager. Pour preuve, il n’a jamais trouvé la force de replonger dans ce moment, sorti de l’espace-temps, qui a littéralement bouleversé sa vie : « Peut-être devrais-je m’asseoir avec un psychologue ou un spécialiste pour le faire, mais j’ai toutes les vidéos de chaque match au bureau et je ne les ai jamais regardées. »

L'équipe américaine sur le toit de l'olympisme
L’équipe américaine sur le toit de l’olympisme

Pour les Américains, le Miracle on ice représente ainsi bien plus qu’une simple victoire sportive et est considéré aux Etats-Unis comme l’événement olympique majeur du vingtième siècle, ainsi que le précise E.M Smith : « Aucune autre performance olympique n’a touché le pays autant que l’équipe de hockey ne l’a fait, pas même les brillantes courses de Jesse Owens devant Adolf Hitler à Berlin en 1936. » Lake Placid est une date historique marquante dans l’histoire du hockey, du sport, de la société américaine. Dave Ogrean, ancien directeur exécutif de la fédération américaine de hockey, certifie : « C’est le moment le plus extraordinaire de l’histoire de notre sport dans ce pays. Pour les personnes qui sont nées entre 1945 et 1955, elles savent où elles étaient quand John F. Kennedy a été assassiné, quand l’homme a marché sur la lune, et quand les USA ont battu l’Union Soviétique à Lake Placid. »

La Fédération de hockey internationale elle-même, à l’occasion de son centenaire en 2008, a élu le Miracle comme l’épisode le plus marquant de son histoire (devant la série du siècle de 1972), stipulant notamment : « Il y a eu des équipes meilleures qui ont accompli de plus grandes choses au travers de périodes plus fastueuses du hockey international, mais il y a un seul match, une seule équipe, un seul moment, qui peut-être réellement appelé un miracle. Et rien ne peut surclasser un miracle. Rien ». L’épisode s’est fait une place dans les livres d’histoire, et plusieurs documentaires et films ont déjà retracé l’épopée d’Herb Brooks et ses hommes (le dernier en date étant le long-métrage « Miracle », sorti sur les écrans en 2004).

A l’époque, le hockey sur glace est une discipline relativement confidentielle aux Etats-Unis. Malgré le succès grandissant de la NHL, les meilleurs éléments restent les Canadiens, les Américains étant réputés maladroits et mentalement friables lors des événements importants. Peu avant Lake Placid, le légendaire technicien soviétique Anatoly Tarasov, en visite aux Etats-Unis, évoquait ces carences avec son ami Lou Vairo, membre de la fédération américaine : « Vous pouvez bâtir les plus grands buildings au monde. Vous pouvez faire quarante-cinq sortes de mayonnaises différentes. Vous pouvez apprendre aux dauphins à exécuter les tâches les plus complexes. Pourquoi ne pouvez-vous pas apprendre à vos joueurs à se passer le palet à plus de deux mètres ? »

Les retombées d’un succès majeur d’une équipe nationale, au cours d’une grande compétition, sont bien souvent factuelles. L’intérêt grandit, des passions se dévoilent, des vocations naissent. Le triomphe des boys ne déroge pas à la règle, et va donner un nouvel élan au hockey américain. En 1980, environ 10 000 clubs étaient répertoriés aux USA. Ce chiffre est porté à près de 15 000 dix ans plus tard, et près de 30 000 en 1997, les données suivant une courbe ascendante. Les jeunes joueurs ont incontestablement été influencés par la performance de la bande à Herb Brooks, en témoignent les propos de l’ancien joueur des Washington Capitals, Steve Konowalchuk : « J’avais huit ans lorsque les USA ont remporté l’or aux Jeux olympiques de 1980. Je me souviens de regarder les matchs et de fêter chaque victoire. En conséquence, j’ai travaillé très dur sur mon jeu, espérant un jour faire partie de quelque chose d’aussi spécial que de gagner une médaille d’or olympique .» Et c’est ainsi que le miracle a apposé une marque indélébile sur le hockey américain.

En ce qui concerne les réactions de l’autre côté du rideau de fer, peu d’études se sont intéressées au point de vue soviétique. Une des raisons majeures expliquant leur improbable défaite semble être le fait qu’ils aient largement sous-estimé leurs adversaires, confortés dans leurs certitudes par des années de succès sur les glaces du monde entier, et par l’écrasante victoire acquise aux dépens des universitaires américains juste avant l’ouverture des Jeux. Victor Tikhonov confie ainsi à Wayne Coffey, dans l’ouvrage The boys of winter : the untel story of a coach, a dream and the 1980 U.S. Olympic Hockey Team : « Peu importe ce que nous essayions on ne pouvait enlever ce 10-3 de l’esprit des joueurs. Ils me dirent qu’il n’y aurait pas de problème. Il s’est avéré que c’est devenu un très gros problème ». Malgré ce camouflet, les Soviétiques font preuve de sportivité jusqu’au bout, félicitant leurs tombeurs après la rencontre. Mark Johnson se remémore d’un « joli match », lancé par Boris Mikhailov, alors qu’ils attendaient tous les deux pour le contrôle antidopage.

A propos de son éviction surprise à la fin de la première période, Vladislav Tretiak raconte dans son autobiographie : « Je ne crois pas que j’aurais du être remplacé. Myshkin était un excellent gardien, mais il n’était pas préparé pour le combat, il n’était pas assez focalisé sur les Américains ». Bien des années plus tard, alors qu’ils se retrouvent coéquipiers sous le maillot des Devils du New Jersey, Mark Johnson évoque cette affaire avec Viacheslav Fetisov, qui hoche la tête et lui répond en deux mots aux accents de l‘Est : « Coach crazy » (entraîneur fou). Il affleure cependant que Tikhonov n’a pas subi les conséquences de ces choix tactiques discutables (le remplacement de Tretiak, l’obstination à s’appuyer sur ses vétérans durant le troisième tiers, le fait de ne pas sortir son gardien pour créer un avantage numérique en fin de partie.) Si la Pravda occulte le fâcheux revers, il n’est pas menacé dans ses fonctions, et la machine rouge reprend sa marche en avant dès l’année suivante, en remportant la Coupe Canada et les championnats du monde. S’en suivent deux autres titres mondiaux en 1982 et 1983, et la médaille d’or olympique en 1984 à Sarajevo. Avec du recul, l’échec de Lake Placid n’apparaît être qu’un accident de parcours dans l’histoire triomphante du hockey soviétique des années 1970-80, qui restera à jamais l’une des dynasties les plus grandioses de son temps.

Le 22 février 1980, une rencontre de hockey s’est ainsi transformée en miracle. C’était l’histoire de vingt gamins, universitaires amateurs, emmenés par un entraîneur hors du commun, qui partaient en croisade, chaussés de patins, défier et terrasser le géant soviétique sur la glace de Lake Placid. Un conte de fées tout droit sorti des livres pour enfants, qui allait redonner à tout un pays l’occasion de sourire. Une Amérique mélancolique, désenchantée, plongée dans la torpeur des temps, qui, l’espace d’un instant, convergeait avec ses boys, héros à la foi ardente et inextinguible, vers le plus beau des rêves. Celui qui devient réalité.

.
.
Crédits photos :
- Wikimedia Commons

Vidéos

Interview des acteurs du Miracle

Portrait de Jim Craig

Interview de Dave Silk et Aleksei Kasatonov

Eruzione accepte d’affronter son but 28 ans après

Exposé d’un étudiant lors d’un cours d’Histoire sur le miracle

Tagged as: , , , , , , , ,

Leave a Response

You must be logged in to post a comment.