L’affaire Cherepanov et le dopage dans le hockey

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Deux mois après la mort tragique de l’étoile montante du hockey russe, Alexei Cherepanov, les premiers résultats de l’enquête viennent de tomber. Et ils révèlent que dans cette sombre affaire, dont nous ne connaissons pas encore tous les aboutissants, le spectre du dopage a joué un rôle déterminant. Ce qui ne manquera pas de relancer le débat sur les pratiques interdites, dans une discipline qui se veut, depuis des années, au dessus de tout soupçon.
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Affaire Cherepanov : premiers résultats de l’enquête

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La formation d'Omsk rend hommage à Cherepanov en retirant son numéro 7

La formation d'Omsk rend hommage à Cherepanov en retirant son numéro 7

Le 29 décembre 2008, la nouvelle tombe tel un couperet : après l’analyse d’échantillons de sang et d’urine appartenant au joueur, le comité d’investigation fédéral russe chargé de l’enquête, dévoile que Cherepanov « se dopait pour améliorer ses performances depuis plusieurs mois » , sans préciser la nature des produits utilisés par le jeune athlète. Le rapport précise également qu’il était atteint de myocardite (qui consiste en une déficience d’afflux sanguin vers le cœur), « maladie qui aurait du l’empêcher de pratiquer un sport professionnel, comme le hockey ». Enfin, le communiqué condamne les services d’urgence de la patinoire, « arrivés douze minutes après l’effondrement du joueur », et qui avaient en leur possession un défibrillateur en mauvais état de marche.

Suspecté dans un premier temps d’avoir eu recours au dopage sanguin, le lendemain, les dirigeants de la KHL apportent quelques précisions supplémentaires : « Depuis au moins une année précédent l’accident Alexei Cherepanov souffrait de myocardite chronique. Dans le sang du joueur a été trouvée de la kordiamin, une substance utilisée pour stimuler et traiter le cœur et les organes respiratoires. Il a été prouvé que Tcherepanov a reçu une injection de kordiamin trois heures avant la rencontre Vityaz-Avangard du 13 octobre 2008. Cette préparation est sur la liste des substances prohibées de l’agence mondiale antidopage ».

Il est ainsi prouvé que de nombreuses négligences, en particulier de la part des instances médicales, ont conduit à ce drame. Il apparaît inconcevable, comme le signalait Anthony Colluci, urgentiste chez les Red Wings de Detroit, que ses problèmes cardiaques n’aient pas été décelés lors de son suivi. Les errements des services de secours de Tchekhov sont également à blâmer, et jettent un certain discrédit sur une KHL qui se veut flamboyante, ce qui ne manque pas d’attiser les foudres de ses détracteurs, à l’image de Pierre McGuire, ancien coach des Hartford Whalers, qui affirme que cette tragédie a littéralement fermé la porte aux joueurs Nord-américains désireux de s’envoler vers cette nouvelle ligue.

Enfin, en ce qui concerne le volet dopage de l’affaire, la loi du silence et de l’ignorance prime, comme à l’accoutumée. Le porte-parole de l’Avangard Omsk, Arkady Alexeyev, a stipulé que « pour le moment, le club n’a pas reçu de documents officiels des enquêteurs. Dès que nous recevrons tous les documents, nous donnerons un commentaire approprié ». Ni l’agent du joueur Jay Gossman, contacté par ESPN, ni les Rangers (qui avaient drafté Cherepanov en dix-septième position lors de la draft 2007), n’ont souhaité réagir. Quant au médecin de l’Avangard, Sergei Belkin, qui est droit dans la ligne de mire, il tente d’expliquer au quotidien Komsomolskaya Pravda : « Je peux résolument affirmer qu’Alexei Cherepanov ne prenait pas de substances favorisant le métabolisme. J’en ai déjà parlé à plusieurs reprises dans le bureau du procureur ». Il ajoute qu’il est intimement persuadé que le club agit proprement, et que les examens d’avant saison n’avaient révélé aucun problème de santé quelconque. Il précise cependant : « J’admets totalement l’idée que les joueurs de hockey puissent recourir à certains traitements sans mon consentement – et sûrement ils le font ». Ces justifications ne lui ont malgré tout pas suffi pour sauver sa tête, puisqu’il a été démis de ses fonctions dans les jours suivants. La commission de discipline de la KHL a également demandé au directeur de la ligue, Alexander Medvedev, de suspendre le manager général de l’Avangard Omsk, Anatoly Bardin, et le président de l’équipe, Konstantin Potapov, jusqu’à la fin de l’investigation.

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Historique des pratiques dopantes dans le hockey

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La thématique du dopage était, jusqu’à un passé très récent, totalement exclue du champ clos de la NHL, et du hockey sur glace en général. Il faut en effet attendre le début des années 2000 pour que le sujet soit enfin évoqué sur la place publique.

En 2003, Stéphane Quintal, défenseur évoluant alors dans les rangs du Canadien de Montréal, regrettait que la ligue ne s’implique pas davantage dans le domaine de la lutte contre dopage, en n’effectuant pas de contrôles allant en ce sens : « C’est certain que dans le hockey, c’est un problème. Je crois que c’est plus un problème de société. Dans la Ligue nationale, je ne comprends pas pourquoi on est à l’étape de ne pas tester les joueurs. C’est certain que si je me bats contre un joueur qui a pris de la drogue, j’ai un gros désavantage contre lui ».

Dave Morisette a décidé de parler pour combattre le dopage

Dave Morisette a décidé de parler pour combattre le dopage

Deux ans plus tard, les langues commencent cependant à se délier. Au mois de mars, l’ancien joueur professionnel Dave Morissette (qui a participé à onze rencontres de NHL), publie un livre intitulé « Mémoires d’un dur à cuire », dans lequel il avoue avoir eu recours aux stéroïdes et autres stimulants durant sa carrière. Il explique : « Je ne dis pas que c’est tout le monde qui prenait des stéroïdes. Toutefois, penser que Dave Morissette a été le seul joueur de la NHL à en consommer, c’est un peu naïf. […] En ne parlant pas, je me considérerais comme un hypocrite », précisant que l’absence de contrôles l’a largement incité à user de ces produits : « S’il y avait un test, je n’aurais pas osé le passer ». Le jour de la sortie de l’ouvrage, Stéphane Quintal, qui militait pour une plus grande transparence et la mise en place d’un système efficace de surveillance, avoue à son tour. Il confesse s’être embarqué dans le cercle vicieux du dopage dès ses débuts en Ligue mineure : avant chaque rencontre, il absorbait des comprimés de pseudoéphédrine et plusieurs tasses de café, ce qui le contraignait à prendre des calmants afin de pouvoir dormir la nuit, et soupçonne ces pratiques d’être à l’origine des problèmes d’arythmie cardiaque dont il souffre, à seulement 32 ans . Il rajoute que, selon lui, 40% des joueurs qu’il a côtoyés au sein de la Ligue étaient accoutumés aux stimulants dopants, alors que les athlètes au gabarit imposant utilisaient eux des stéroïdes anabolisants.

Suite à ces révélations, la NHL décide de mettre en place un tout nouveau plan de lutte contre le dopage : au sortir du lock-out en 2006, des contrôles sont ainsi mis en place durant la saison régulière, et prévoient les sanctions suivantes en cas d’infraction : 20 matchs de suspension, 60 pour une récidive, et une suspension à vie pour une troisième faute. Les punitions encourues, ainsi que le calendrier qui exclu des tests durant l’été, donnent l’image d’un programme négligé et truffé de failles, ainsi que le note l’ancien joueur Enrico Ciccone (reconverti depuis agent) : « Ben voyons donc ! Tout le monde sait que les joueurs qui consomment des stéroïdes le font durant l’été, pas pendant la saison ». Il fait aussi part de ses craintes quant aux effets néfastes de ces substances sur la santé des sportifs : « Les stéroïdes, ça te tue lentement, ça te mange le foie. Avec l’éphédrine, tout cœur peut lâcher à tout moment. […] Il y en a un qui va finir par péter sur la glace… ».

Au même moment, Dick Pound, alors président de l’Agence mondiale antidopage, sort également de sa réserve, se disant peu impressionné par les dispositions prises par la Ligue nationale, et estimant qu’environ 700 joueurs, soit un tiers des effectifs, se dopent régulièrement. Sans surprise, le monde de la NHL monte au créneau, et réfute en bloc ces accusations. Gary Bettman, le big boss de la Ligue, affirme que les joueurs de talent n’ont pas besoin de recourir à de tels procédés pour améliorer leurs performances, alors que le vice-commissaire Bill Daly, apparaît passablement énervé : « Il est pour le moins inquiétant de voir M. Pound se prononcer sur une chose à laquelle il ne sait absolument rien. Il aurait avantage à limiter ses commentaires aux sujets qu’il connaît ». Même son de cloche du côté de Ted Saskin, directeur exécutif de l’Association des joueurs, qui qualifie les propos de Dirk Pound de « totalement irresponsables », et des athlètes eux-mêmes, à l’image de Todd Bertuzzi, qui se montre offusqué : « Qui est Dick Pound ? Dites-lui de venir dans ce vestiaire. Il nous verra torse nu et on va lui montrer à quel point nous sommes dopés. Dites-lui qu’il peut venir passer du temps avec moi et me regarder m’entraîner ».

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De nouvelles perspectives ?

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Jacques Demers

Jacques Demers

Le 13 décembre 2007, le monde du baseball doit faire face à un tsunami, avec la publication du rapport Mitchell. Enquête commandée par le directeur de la MLB Bud Selig en 2006, et menée par l’ancien sénateur George Mitchell, elle met à jour l’implication de 89 joueurs dans un réseau d’usages de drogues et produits dopants. La transposition des ces conclusions vers les autres disciplines sportives nord-américaines, souvent objets de soupçons, se multiplient. Les pontes de la NHL s’empressent alors de calmer le jeu, par la voix de Bill Daly : « Je ne pense pas que nous ayons jamais eu le même problème. […] Une enquête indépendante dans notre sport n’est pas nécessaire. Il est plus évident dans l’histoire du hockey qu’au baseball que cela n’a jamais fait partie de notre culture. Nous somme à l’aise avec le programme actuel et nous allons toujours rechercher des manières de l’améliorer. Nous devons rester vigilants pour s’assurer que nous sommes à la fine pointe et que nous faisons tout ce que nous pouvons pour que notre sport reste propre ». Arguments bien légers, qui ont du mal à convaincre tout le monde, comme Jacques Demers, dernier coach vainqueur d’une Stanley Cup avec Montréal, qui ne se voile pas la face : « Une chose m’apparaît de plus en plus claire : si le football, le baseball, la basketball, la lutte, le cyclisme, le soccer et les sports amateurs de haut niveau (comme l’athlétisme, par exemple) sont touchés par ce fléau, ce serait jouer à l’autruche de croire que le hockey, notre fameux sport national, échappe au dopage sportif ». Il critique notamment la frilosité des instances dirigeantes de la NHL sur ce point : « Selon moi, le hockey d’aujourd’hui fait lui aussi face à un problème de dopage à plus ou moins grande échelle, bien que la NHL veuille encore nous faire croire que tout est sous contrôle. […] La Ligue est encore bien timide dans le domaine de la lutte contre le dopage et il me semble que le scandale du baseball devrait la convaincre d’instaurer très rapidement une véritable politique pour éliminer les tricheurs. Si la NHL veut être prise au sérieux, elle doit établir des règles sévères, doublées de pénalités exemplaires ». Et en finir avec cette « hypocrisie à grande échelle » qui ronge le hockey chaque jour un peu plus…

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Tout ne semble ainsi pas si clair dans le petit monde du hockey sur glace. Des signaux alarmants, en nombre croissant ces dernières années, sont là pour le rappeler. Des joueurs ont subi des contrôles positifs à l’occasion des compétitions internationales, notamment le défenseur américain Bryan Berard (norandrostérone) et le gardien canadien José Théodore (finastéride). Exclus de leur sélection nationale respective, le règlement ne s’appliquant cependant pas aux rencontres de Ligue nationale, ils peuvent dès lors poursuivre leur carrière en toute impunité. Sean Hill, joueur des Minnesota Wild, a écopé de vingt matchs de suspension en 2006, déclaré positif à un stéroïde interdit.

Plus graves encore sont les drames qui se produisent sur la glace : décès du Canadien Stéphane Morin en Allemagne en 1998, décès du letton Sergei Zholtok (qui selon le journaliste Mathias Bruner, qui a écrit l’ouvrage sur l’expérience de Dave Morisette, était un consommateur régulier de stimulants) en 2004, malaise cardiaque de Jiri Fisher en 2005, et désormais, décès d’Alexei Cherepanov, avec une preuve de dopage à l’appui. Évoquant ces affaires, Gary Bettman s’évertue à parler de cas isolés. Il serait pourtant grand temps que les autorités de la NHL, et le microcosme du hockey en général, se posent enfin les bonnes questions, et prennent leurs responsabilités pour combattre véritablement et efficacement le dopage (même si cela paraît utopique, compte tenu des enjeux financiers, et du rapport actuel des instances suprêmes face à ce mal). Histoire que la mort de Cherepanov n’ait pas servi à rien…

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Article écrit le 16-01-2009

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